Dans la série des fables et maximes tirées de l’Hitopadesh et du Pancha-tantra… Suite et fin de «Le corbeau et la souris».
Ayant voyagé jusqu’à la forêt Dandakaranya en quête de nourriture, le corbeau Laghoupatanaka et la souris Hiranyaka furent bientôt en vue du lac où habitait la tortue Manthara.
De loin, Manthara vit arriver son ami le corbeau, et elle se mit en frais de l’accueillir comme il se doit.
Le corbeau dit:
— Ma chère Manthara, je t’en prie, reçois également avec le plus grand respect mon amie Hiranyaka, la reine des souris, car…
Que ce soit un enfant, un jeune homme ou un vieillard, l’invité devrait toujours être traité avec respect.
— Elle est la personnification même de toutes les vertus, poursuivit Laghoupatanaka, un véritable océan de miséricorde. Même avec ses deux mille bouches, le roi des serpents ne pourrait énumérer toutes ses qualités.
Pour étayer son propos, le corbeau expliqua ensuite comment Hiranyaka avait délivré le pigeon Tchitragriva et les siens.
Voir l’histoire des pigeons et de la reine des souris.
Après s’être occupée avec soin de ses invités, Manthara demanda à Hiranyaka:
— Avant de venir me rendre visite avec Laghoupatanaka, tu vivais dans une forêt fort reculée. Pourquoi avais-tu choisi un tel endroit comme résidence?
— Je veux bien te raconter mon histoire si tel est ton désir, répondit la souris. Elle débute dans un lointain ashram où vivait un ermite du nom de Tchoudakarna. Tous les soirs avant de se coucher, il avait pour habitude de suspendre son bol à aumônes au-dessus de son lit. Le bol était toujours rempli de nourriture et, toutes les nuits, je sautais dans le bol pour m’en délecter. Un jour, un ami de l’ermite nommé Vinakarna vint lui rendre visite. Tout en conversant avec lui, Tchoudakarna frappait le sol à l’aide d’un vieux bâton pour me faire peur et m’empêcher d’atteindre le bol. Son invité lui dit alors:
— Tu ne sembles pas très intéressé par mes propos; on dirait que ton esprit est ailleurs, car il est dit…
Un visage souriant, des regards bienveillants, une voix agréable et une écoute attentive: tels sont les traits d’une personne faisant montre d’intérêt et d’affection.
— Cher ami, tu ne m’es aucunement indifférent, mais j’ai du mal à t’écouter, car je suis contrarié par cette souris qui essaie constamment de sauter dans mon bol à aumônes.
Regardant le bol suspendu au-dessus du lit, Vinakarna dit:
— Comment cette petite souris peut-elle avoir la force de sauter aussi haut? Il doit sûrement y avoir une explication.
Puis, après avoir réfléchi un moment, il déclara:
— Il se pourrait que la force de cette souris soit due aux réserves qu’elle possède.
Ce disant, il racla à l’aide d’une grosse cuillère le trou qui me servait de résidence, et s’empara ainsi de toutes les réserves de nourriture que j’avais amassées depuis longtemps. Je devins alors tous les jours plus faible et perdis tout enthousiasme, ne pouvant même plus me procurer ma nourriture quotidienne. Dans cette piteuse condition, alors que je me déplaçais en rampant péniblement, Tchoudakarna m’aperçut et s’exclama:
— En ce monde, le riche devient puissant, et les gens du commun le tiennent pour intelligent et savant. Voyez maintenant comment cette vile souris, un temps riche et puissante, est redevenue comme ses semblables!
L’homme qui possède des richesses est entouré de ses proches et a de nombreux amis. En vérité, tout le monde le considère comme une grande âme et comme un érudit.
Bien que le nom, l’intelligence, le discours et le corps de l’homme ayant perdu sa fortune ne changent pas, n’est-il pas étonnant qu’il semble être devenu une tout autre personne?
La pauvreté est pire que la mort, car la mort ne survient qu’une fois alors que la pauvreté fait souffrir à chaque instant.
— En l’écoutant parler ainsi, je me suis dit qu’il n’était pas sage de rester là, complètement démunie, car…
Lorsque les efforts et les actes valeureux ont échoué et lorsque la destinée n’est pas favorable, une personne pauvre et honnête ne trouve son bonheur qu’en cherchant refuge dans la forêt.
— D’autre part, vivre de mendicité en ce lieu et survivre aux dépens de la nourriture d’autrui aurait été une véritable disgrâce, car…
Mieux vaut vivre dans la forêt que dans le royaume d’un seigneur ignorant, et mieux vaut mourir que d’implorer la bienveillance de viles personnes.
— Après mûre réflexion, ma décision fut prise: j’irais vivre sous d’autres cieux, car…
Dans les situations critiques, faire preuve de sagesse signifie savoir prendre des décisions pratiques.
Mieux vaut vivre en se contentant de boire de l’eau aisément disponible que de se hasarder à manger de délicieux aliments au risque de sa vie.
— Voilà pourquoi j’ai quitté cet endroit pour me rendre dans la forêt, et là, j’ai eu la bonne fortune de me lier d’amitié avec ce corbeau qui me fait aujourd’hui la grâce de vous rencontrer.
Manthara dit à son tour:
— Tu accumulais plus que ce dont tu avais besoin, et cette faute a causé ton malheur.
Quelle valeur revêt la vie humaine pour qui ne parvient pas à maîtriser ses sens et ses désirs? À quoi bon amasser des biens si nous n’en jouissons pas ni ne faisons la charité? Il est toujours souhaitable de mettre quelques richesses de côté, mais sans le faire en excès, car cela appelle le malheur.