Suite de la série historique consacrée à la théorie de l’invasion aryenne, échafaudée dans le but de minimiser l’importance de la culture et des textes védiques.

Voir le volet précédent.

Des chercheurs se sont intéressés au fait que les textes védiques renferment de nombreuses références à l’état du ciel à différentes époques. Le calendrier védique reposait d’ailleurs sur l’observation des solstices et des équinoxes, et le découpage des mois reposait sur le mouvement des constellations dans le ciel par rapport à la Terre. Le déplacement des planètes par rapport aux étoiles était également suivi et noté.

On s’entend que, dans les temps anciens, l’astronomie dépendait de l’observation directe des planètes et des étoiles au firmament. Personne n’aurait donc pu imaginer les configurations célestes précises décrites dans les Védas sans les avoir vues de ses yeux. Or, les puissants ordinateurs spécialisés dont les scientifiques disposent depuis peu ont permis d’établir que certaines de ces configurations correspondaient à l’état du ciel il y a plus de 5000 ans!

Qu’il suffise de penser à la datation de la guerre du Mahabharata, ou à celle du début de l’âge de Kali, l’âge de fer védique dans lequel nous nous trouvons. Dans ce dernier cas, les textes védiques consacrés à l’astronomie indiquent qu’une configuration toute particulière a marqué le début de cet âge, à savoir l’alignement rectiligne – depuis la Terre – de la Lune, du Soleil, de Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Les ordinateurs utilisés pour examiner l’état du ciel à travers le temps indiquent que cette configuration unique a précisément eu lieu vers minuit, le 18 février 3102 av. J.‑C. (selon le calendrier grégorien).

Les Anciens n’avaient pas d’ordinateurs. Ils ne disposaient non plus d’aucun moyen pour calculer la position exacte des planètes et des étoiles des milliers d’années auparavant. Pour pouvoir consigner ce phénomène ponctuel, ils devaient l’avoir observé. Et il en est de même des données astronomiques qui ont permis d’établir la date de la grande bataille de Kouroukshétra décrite dans le Mahabharata, ainsi que de nombreux autres événements historiques.

Quand ça ne colle pas, ça ne colle pas

Premier constat: les Védas n’ont pu être composés par d’hypothétiques Aryens en 1500 av. J.‑C., car ils n’avaient aucun moyen de connaître l’état du ciel décrit en détail à différentes époques antérieures de plusieurs millénaires.

Deuxième constat: il existait déjà une civilisation évoluée possédant une connaissance pratique de l’astronomie plus de 3000 ans avant notre ère. Cette civilisation était bel et bien indigène au sous-continent indien, et comme sa tradition orale précédait de longue date sa tradition écrite, elle prospérait depuis un passé encore plus reculé.

Les théoriciens occidentaux se sont toutefois gardés d’accorder une quelconque importance aux données astronomiques des Védas, car elles entraient en contradiction avec la date d’écriture présumée de ces textes. Tout comme ils ont choisi d’ignorer ou de maquiller les données historiques décrivant le règne de monarques védiques dont le royaume s’étendait, dans certains cas, «d’une mer à l’autre», ou encore «jusqu’au Gandhara (l’Afghanistan) à l’ouest et au Vidéha (le Népal) à l’est». Il était en effet impensable que les sauvages aborigènes conquis par les Aryens aient pu être maîtres d’empires!

Où sont les preuves?

Entre autres incongruités, certains historiens ont fait remarquer qu’il était insensé de croire que des hordes d’Aryens nomades aient pu prendre d’assaut les montagnes d’Asie centrale sur des chars tirés par des chevaux dans leur marche vers le nord de l’Inde. Les nomades n’utilisent pas de chars. Ces derniers sont en outre totalement inadaptés à la traversée des montagnes et des déserts. On n’en trouve que dans certaines cultures urbaines où le sol est relativement plat.

Des textes écrits par des envahisseurs Aryens dans lesquels il n’existe aucune référence à leur peuple ou à leur culture… Des textes contenant des données historiques, astronomiques, géographiques et autres que leurs présumés auteurs n’avaient aucune possibilité de connaître… Des centaines de sites archéologiques ne présentant aucune trace d’invasion ou de destruction humaine… Une génétique indigène sans aucun signe de variation due à un apport étranger sur des milliers d’années…

Combien d’arguments faut-il encore pour comprendre qu’il n’existe aucune trace d’une invasion aryenne du sous-continent indien à quelque époque que ce soit de l’histoire ou de la protohistoire? Ou que la théorie qui soutient une telle invasion est criblée d’invraisemblances et d’impossibilités?

Le fait est que la littérature védique a tout simplement été délibérément interprétée comme s’il était entendu que l’Inde avait été envahie par des Aryens. Que les découvertes archéologiques ont ensuite été interprétées sur les mêmes bases. Et que les interprétations scripturaires et archéologiques n’ont servi qu’à se justifier mutuellement. Il s’agit là d’une pure tautologie, d’un raisonnement circulaire visant à prouver qu’une chose est vraie dès lors qu’on présume qu’elle l’est.

William Dwight Whitney (1827-1894)

Malgré les levées de boucliers

Des savants contemporains de Max Müller, dont le sanskritiste Theodor Goldstücker, le linguiste et philologue William Dwight Whitney et l’indianiste Horace Hayman Wilson, ont dès le départ dénoncé l’impertinence de la datation des Védas imposée par l’homme à la solde de la Compagnie britannique des Indes orientales. Devant les attaques répétées – et justifiées – de ses pairs, Müller a fini par se dédire:

«J’ai toujours estimé que les dates avancées par moi concernant l’écriture des premiers textes védiques étaient purement hypothétiques. Tout ce que j’ai affirmé, c’est qu’il s’agissait de dates minimales, et que les productions littéraires assignées à différentes périodes […] ne pouvaient vraisemblablement pas être plus récentes.»

Cité dans B. B. Lal, Origin of Indian Civilization, éd. Bal Ram Singh, Center for Indic Studies, Dartmouth, USA, 2010, p. 23-24.

Ainsi reconnaissait-il ouvertement que les dates annoncées et publiées comme si elles étaient solidement fondées étaient au mieux conjecturales. Pressé par ses contemporains de corriger sa prise de position contraire aux principes d’une approche rigoureusement scientifique, il tente, en 1890, de se dégager de toute responsabilité en déclarant:

«Si l’on voulait maintenant dater les hymnes védiques, il est évident qu’on ne saurait espérer fixer un terminus a quo. Aucun pouvoir sur terre ne parviendra jamais à déterminer s’ils ont été composés en 1000, 1500, 2000 ou 3000 av. J.‑C.»

ibid.

Mais le mal était fait! On enseignait déjà dans les écoles et les universités – comme on a continué à le faire par la suite et comme on continue à le faire de nos jours – que les Aryens avaient envahi l’Inde en 1500 av. J.‑C. et qu’ils avaient commencé à écrire les Védas en 1200 av. J.‑C. Müller avait acquis une telle notoriété et jouissait d’un tel prestige auprès des défenseurs de l’ordre établi, qu’aucune instance publique n’a encore jamais officiellement osé rétablir les faits, et ce, en dépit de son propre désaveu.

Moriz Winternitz (1863-1937)

Ce qui a fait dire à Moriz Winternitz, directeur de la Chaire d’indologie de l’Université de Prague et l’un des plus éminents sanskritiste de son temps:

«Le pouvoir de suggestion est vraiment remarquable, même en sciences! La datation hypothétique et purement arbitraire des textes védiques par Max Müller s’est vue de plus en plus reconnue au fil des ans, au point d’acquérir le statut de fait scientifiquement démontré, sans qu’aucun argument nouveau ni réelle preuve soient venus l’étayer.»

A History of Indian Literature, vol. 1, Delhi: Oriental Books Reprint Corp., 1927, 1972, p. 293.

À suivre…

La parole est aux astres