Filet - Série - Fables et maximes

Dans la série des fables et maximes tirées de l’Hitopadesh et du Pancha-tantra

À Magadha se trouvait une forêt où vivaient en grande amitié et depuis fort longtemps un corbeau et une biche. Un chacal qui vagabondait nonchalamment dans cette forêt aperçut la biche à la peau tendre et songea en lui-même: «Comment pourrais-je bien me délecter de cette chair appétissante? Tentons d’abord de gagner sa confiance.»

Le chacal approcha de la biche et lui dit:

— Comment allez-vous, chère amie?

— Qui es-tu? demanda la biche.

— Je suis un chacal errant. Je vis dans la forêt, mais n’ayant aucun ami, je suis comme mort. Cependant, en vous voyant, je reviens à la vie, car j’ai l’espoir de me lier d’amitié avec vous. Pourriez-vous me compter parmi vos amis?

— J’y consens, répondit la biche.

Au moment où le soleil se couchait, disparaissant avec sa guirlande de rayons scintillants, la biche, accompagnée de son nouvel ami, regagna sa demeure. Là vivait aussi, perché sur un arbre, un corbeau ami de longue date de la biche, qui s’adressa à elle en ces termes:

— Biche mon amie, toi aux membres délicats, quel est cet animal?

— C’est un chacal qui veut devenir notre ami.

— Il n’est pas conseillé de se lier d’amitié avec un étranger; on ne devrait pas héberger chez soi quelqu’un dont la personnalité et la famille nous sont inconnues, comme l’illustre l’histoire du vautour aveugle qui fut tué à cause d’un chat.

Voir l’histoire du chat et du vautour aveugle.

À ces mots, le chacal reprit le corbeau:

— Lorsque tu as rencontré la biche pour la première fois, vous ignoriez tout de vos personnalités et de vos familles respectives. Cela n’a pas empêché votre affection mutuelle de grandir jour après jour. Tu ne devrais pas te poser en sage de la sorte, car…

Les gens à l’esprit étroit disent: «Cet homme est-il des nôtres, ou est-ce un étranger?» Mais ceux qui sont généreux considèrent le monde entier comme leur propre famille.

Le chacal poursuivit:

— À l’exemple de la biche, deviens aussi mon ami.

— Pourquoi continuer d’argumenter de la sorte? demanda la biche. Asseyons-nous plutôt et prenons plaisir à discuter comme des amis, car…

Personne n’est vraiment l’ami ou l’ennemi d’autrui; c’est la façon d’agir d’une personne qui fera d’elle un ami ou un ennemi.

— Qu’il en soit ainsi, répondit le corbeau.

Le matin venu, ils retournèrent chacun à leurs occupations.

Plus tard, en un lieu solitaire, le chacal dit à la biche:

— Dans une partie de la forêt, il y a un champ aux herbes abondantes. Laisse-moi t’y conduire.

Dès lors, la biche se rendit au champ tous les jours. Mais le propriétaire du champ, désirant l’attraper, finit par lui tendre un piège. Prise au filet, la biche pensa: «Qui d’autre que mon ami pourrait me délivrer de ce mauvais pas? Sans lui, je suis morte.»

Le chacal ne tarda pas à faire son apparition, mais ses intentions à l’endroit de la biche étaient tout autres. «Aujourd’hui, se dit-il, mon plan porte enfin fruit. Je vais bientôt pouvoir arracher sa chair et me régaler de son sang après que le chasseur l’ait tuée.»

À la vue du chacal, la biche exulta de bonheur et s’adressa à lui en ces termes:

— Cher ami, libère-moi vite de ce piège et protège-moi, car il est dit…

L’amitié est mise à l’épreuve dans l’adversité, tout comme ses proches le sont dans la détresse.

Après avoir examiné le filet de près, le chacal comprit que la biche ne pourrait s’échapper.

— Ma chère amie, ce filet est fait de boyaux; je ne saurais donc le couper de mes dents en ce jour maigre? Mais ne t’en fais pas; je reviendrai demain matin te délivrer.

Le soir venu, ne voyant pas la biche revenir, le corbeau partit à sa recherche. La trouvant dans sa triste condition, il lui demanda:

— Que se passe-t-il?

— Ô mon ami, je subis les conséquences de ne pas t’avoir écouté, car il est dit…

Celui qui n’écoute pas les paroles de son ami bienveillant connaîtra le malheur, au plus grand plaisir de son ennemi.

— Où est le traître?

— Il se cache quelque part, non loin d’ici, en attendant de manger ma chair.

Le corbeau soupira lourdement en s’exclamant:

— Fourbe chacal, quelle infâmie n’as-tu pas commise! N’est-il pas dit…

On ne devrait jamais se lier d’amitié avec les fourbes. Ils sont pareils à du charbon, qui brûle quand il est chaud et noircit les mains quand il est froid.

Ô déesse de la terre! Comment peux-tu supporter le poids de ceux qui renient leurs paroles et qui agissent mal envers des personnes honnêtes et dignes de confiance?

Le matin suivant, le corbeau vit le propriétaire du champ approcher, un bâton à la main.

— Chère amie, fait semblant d’être morte, remplit ton ventre d’air, raidit tes pattes et allonge-toi, parfaitement immobile. Je vais feindre de donner des coups de bec dans tes yeux. Puis, à mon signal, lève-toi et enfuis-toi.

La biche suivit les conseils du corbeau, et la croyant morte d’elle-même, l’homme fut transporté de joie. Il retira alors le filet et commença à le plier. Lorsqu’il fut à une certaine distance de la biche, le corbeau donna le signal et la biche s’enfuit. Pris de rage, l’homme lança violemment son bâton en direction de la biche, mais ce dernier frappa plutôt de plein fouet le chacal qui se trouvait tout près, le tuant sur le coup. Ainsi est-il dit…

On peut jouir ou souffrir des fruits d’actes bons ou mauvais en cette vie même, dans les trois ans, les trois mois ou les trois jours après les avoir accomplis, mais on finit toujours par récolter ce que l’on a semé.

La biche et le fourbe chacal