Suite de la série «La reine des Upanishads».
Voir le volet précédent.
yasminn sarvāṇi bhoutāny ātmaivābhoud vijānataḥ
tatra ko mohaḥ kaḥ śoka ékatvam anoupashyataḥ
«Celui qui voit l’étincelle spirituelle en chaque être,
c’est-à-dire l’âme,
de nature semblable à celle de l’Être suprême,
voit les choses telles qu’elles sont.
Comment donc l’illusion ou l’angoisse
pourraient-elles s’emparer de lui?»
À part le madhyam adhikari et l’outtama adhikari – les deux ordres de spiritualistes décrits dans le commentaire sur le mantra précédent –, personne ne peut voir la nature spirituelle des êtres vivants.
Tout comme le feu et les étincelles qui s’en échappent ne font qu’un, le Seigneur des seigneurs et les êtres vivants sont de nature semblable. Mais ils ne sont pas pour autant égaux. Ils sont en effet identiques en qualité, mais pas en quantité. Dans notre exemple, même si les étincelles sont comme le feu, elles ne produisent jamais la même intensité de chaleur et de lumière que le feu lui-même; et c’est ainsi qu’il faut voir les âmes individuelles par rapport à Dieu.
Les spiritualistes accomplis peuvent voir tout ce qui les entoure comme autant d’énergies de Dieu. Et comme il n’y a pas de différence entre une énergie et sa source, ils peuvent comprendre que tout est Un. Car sans sa lumière et sa chaleur, le feu n’a plus de sens, même si, techniquement parlant, la lumière et la chaleur ne sont pas du feu comme tel.
Une telle vision s’acquiert auprès d’âmes réalisées et en puisant aux enseignements de sources autorisées en la matière.
Selon les Védas, chaque étincelle vivante du Grand Tout, parfait et complet en lui-même, possède près de 80% des caractéristiques connues de l’Être suprême, mais en toute petite quantité seulement, car elle n’en est qu’une infime parcelle. Le rapport qui existe entre l’Infiniment fascinant et les êtres minuscules ressemble à celui qui existe entre l’océan et la goutte d’eau. Le sel contenu dans la goutte d’eau possède la même composition chimique que celui contenu dans l’océan, mais la quantité n’est pas du tout la même. Les attributs du Divin sont donc essentiellement présents dans chaque être vivant, mais dans une proportion infiniment moindre.
Un intérêt commun
Si l’âme individuelle était égale à l’Âme suprême aussi bien en quantité qu’en qualité, jamais elle ne serait assujettie à l’influence de l’énergie matérielle. D’ailleurs, nous avons déjà vu dans les mantras précédents que personne, pas même les puissants dévas, ne peut égaler l’Être suprême dans quelque domaine que ce soit.
Par conséquent, lorsqu’on dit que l’âme et Dieu ne font qu’Un, cela ne veut pas dire qu’ils sont parfaitement égaux, mais plutôt, dans un sens plus large, que leurs intérêts sont communs, tout comme ceux des membres d’une même famille ou d’une même nation. Dans un cas comme dans l’autre, plusieurs individus différents les uns des autres partagent un intérêt commun: le bien-être de tous. Or, comme tous les êtres forment une grande famille universelle à l’intérieur du Grand Tout, les intérêts de l’Être suprême sont identiques aux leurs. Il n’y a pas de conflit d’intérêts dans la vie spirituelle.
Par nature, tous les êtres, y compris l’Être suprême, sont faits pour le bonheur éternel. Même lorsqu’ils sont prisonniers d’un corps matériel, les êtres cherchent le bonheur, mais ils ne le cherchent pas au bon endroit. Ils ignorent qu’au-delà du monde matériel se trouve le monde spirituel, où le Seigneur des seigneurs et ses innombrables compagnons et compagnes jouissent d’un bonheur parfait, sans aucune trace d’influence matérielle et sans aucun conflit d’intérêts.
Dans le monde matériel, au contraire, tous les êtres sont constamment en lutte les uns contre les autres, car ils ne voient pas que leur bonheur peut seulement venir de leur source divine, le Centre de tout. Nous sommes tous faits pour rétablir notre relation avec l’Infiniment fascinant et pour jouir avec lui d’une vie sans conflit; et celui ou celle qui réalise cette harmonie spirituelle cesse d’être en proie à l’illusion et à l’angoisse.
Le bonheur parfait
L’illusion (maya) d’un monde dénué de spiritualité rend une civilisation athée, et une telle civilisation, soutenue par les politiciens comme par nombre de scientifiques et de libres penseurs, est une source constante d’angoisse et d’affliction. Ainsi le veulent les lois de la nature, et personne ne peut les changer. Seuls ceux et celles qui apprennent à tout voir en lien avec l’Être suprême peuvent s’en libérer.
Pour échapper à l’illusion et à l’angoisse, et éliminer du coup tous les conflits d’intérêts, nous devons mettre Dieu au centre de toutes nos activités, car ce n’est qu’en servant ses intérêts que nous servons les nôtres et que nous accédons à la satisfaction spirituelle que nous recherchons tous.
Reste qu’une grande âme possédant une telle vision des choses est très rare, car il faut plusieurs vies pour atteindre un tel niveau de conscience. Cependant, une fois qu’on l’a atteint, l’illusion, la détresse et les souffrances inhérentes à l’existence matérielle disparaissent complètement de notre vie. Voilà ce qu’enseigne ce mantra de l’Isha Upanishad.