Shri Vishnou

Suite de la série «La reine des Upanishads».

Voir le volet précédent.

yas tou sarvāṇi bhoutāny ātmany évānoupashyati
sarva-bhoutéshou tchātmānaṁ tato na vijougoupsaté

«Celui qui voit tout en relation avec l’Être suprême
ne hait rien ni personne.
Il voit l’Absolu en tout et partout,
et il sait que tous les êtres
sont d’infimes émanations de Dieu.»


Ce mantra nous donne la description d’une grande âme. Pour bien comprendre ce qui la distingue des autres, il convient de départager différents niveaux de conscience.

Il y a bien sûr des gens qui n’ont que faire de l’Absolu, de Dieu ou de l’Être suprême, et dont la conscience est tout entière accaparée par l’incessante quête de plaisirs sensoriels, émotionnels ou intellectuels. Ce sont aussi des âmes, mais recouvertes d’épaisses couches de conditionnement psychologique qui les empêchent de concevoir quoi que ce soit de spirituel.

Ce sont plutôt les spiritualistes qui retiennent ici notre attention, soit ceux qui s’intéressent à la dimension spirituelle de l’existence.

Trois niveaux de spiritualistes

Au niveau le plus novice, ou néophyte, on trouve ceux qui fréquentent temple, église ou mosquée pour y adorer Dieu conformément aux recommandations des textes sacrés de leur religion. Les Védas les désignent sous le nom de kanishtha adhikaris.

Ils ne perçoivent l’Être suprême qu’au lieu du culte, et ils sont incapables d’évaluer le degré d’avancement spirituel des autres croyants. Ils pratiquent leur religion de façon rituelle et routinière, et ils se disputent parfois entre eux ou avec les adeptes d’autres religions que la leur, convaincus que leur Dieu est le seul vrai Dieu et que leur façon de l’adorer est meilleure que celle des autres. À vrai dire, malgré une certaine ouverture au sacré et au Divin, ces apprentis spiritualistes sont encore largement matérialistes.

Au niveau intermédiaire se trouvent les madhyam adhikaris, soit ceux qui savent faire la distinction entre quatre types de personnes:

  • l’Être suprême;
  • les dévots du Seigneur des seigneurs sous l’une ou l’autre de ses formes dans différentes cultures et traditions;
  • les innocents, qui n’ont tout simplement aucune connaissance de l’Absolu;
  • les athées, qui n’ont aucune foi en Dieu et qui méprisent ses dévots.

Les spiritualistes de cet ordre savent en outre comment agir avec chaque type de personne. Ils adorent l’Être suprême en le servant avec amour et dévotion; ils se lient d’amitié avec les dévots du Seigneur des seigneurs; ils s’efforcent d’éveiller les innocents à la conscience de l’Absolu et de raviver en eux l’amour de Dieu; et ils évitent tout simplement les athées qui se refusent à toute forme d’échange spirituel.

Enfin, au niveau le plus élevé se trouve l’outtama adhikari, capable de tout voir en relation avec l’Être suprême. Il ne fait aucune distinction particulière entre croyants et athées, ou matérialistes et spiritualistes, car il les sait tous être d’infimes émanations du Divin. Pour lui, le sage érudit et le chien errant sont de la même essence; ils ont seulement revêtu des corps différents en fonction de leur karma. Sans tenir compte des mérites respectifs de l’un et de l’autre, l’outtama adhikari s’emploie à faire du bien aux deux. C’est à cet ordre de spiritualistes que le présent mantra fait référence.

Faire œuvre utile sur tous les plans

Un spiritualiste accompli ne se laisse pas tromper par l’apparence du corps; il s’intéresse plutôt au principe vital, à l’étincelle spirituelle qui anime chaque être. Ceux qui prônent la fraternité et la solidarité universelles sans avoir atteint un tel niveau de conscience ne s’intéressent en réalité qu’au corps matériel, et ne peuvent donc être d’aucune aide réelle à leurs semblables.

Politiciens, scientifiques, philanthropes et autres altruistes ignorant tout de l’Absolu et de la différence entre l’âme individuelle et l’Âme suprême ne peuvent rendre aucun service à l’âme. Seule une grande âme pleinement réalisée peut inculquer le secret de la vision universelle décrite dans ce mantra.

Nos yeux imparfaits ne nous permettent pas de voir les choses telles qu’elles sont. Pour connaître la vérité et percevoir la réalité dans sa dimension aussi bien spirituelle que matérielle, il faut s’en remettre à un spiritualiste éclairé ayant lui-même puisé cette science auprès d’une source sûre. Seule une grande âme voit en effet tous les êtres vivants comme ses propres frères et sœurs, car elle voit l’âme spirituelle en chacun. Et lorsqu’elle sert son prochain, c’est à cette âme qu’elle s’adresse, de sorte qu’elle comble du même coup ses besoins aussi bien matériels que spirituels.

Isha Upanishad – Mantra 6