Shri Vishnou

Suite de la série «La reine des Upanishads».

Voir le volet précédent.

vāyour anilam amritam athédaṁ bhasmāntaṁ sharīram
oṁ krato smara kritaṁ smara krato smara kritaṁ smara

«Que mon corps éphémère soit réduit en cendres,
et que mon souffle vital se fonde dans la totalité de l’air.
Ô Seigneur, toi le Bénéficiaire suprême,
n’oublie pas mes sacrifices.
Souviens-toi, je t’en prie,
de tout ce que ton serviteur a fait pour toi.
»

Au terme de sa vie terrestre, le spiritualiste a conscience de devoir quitter son enveloppe charnelle en rendant son dernier souffle. Mais il sait aussi que tout ne s’arrête pas là, car lui – l’âme spirituelle qui habite cette enveloppe – ne meurt pas avec le corps. Et bien que son souffle se fonde alors dans la totalité de l’air, lui ne se fond dans rien du tout, car il conserve à jamais son individualité propre.

En effet, l’âme n’est à aucun moment dépourvue de personnalité ou de forme. C’est l’enveloppe matérielle de l’âme qui n’a pas de forme en soi. Le corps dépend complètement de l’âme immortelle qui l’habite, et c’est elle, par ses désirs, qui lui donne une forme et qui l’anime.

Lorsqu’à l’heure du trépas, le corps devenu inutilisable se voit abandonné par l’âme, les éléments dont il est constitué se désagrègent, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que cendres ou poussière. L’âme est alors libre de prendre un nouveau corps ou de s’affranchir une fois pour toutes du cycle des naissances et des morts répétées en réintégrant la dimension purement spirituelle inhérente à sa nature.

Double assurance

Le spiritualiste accompli ne s’intéresse qu’à la deuxième option. Il a utilisé sa forme humaine pour cultiver la connaissance de sa véritable nature et celle de la Vérité absolue; et si, par bonheur, il a rétabli sa relation avec le Seigneur des seigneurs et appris à le servir de tout son être, il n’a aucun désir de revêtir un corps matériel en ce monde où tout est éphémère. Il n’a plus qu’une idée en tête, et c’est de retourner auprès de son Seigneur adoré dans le monde spirituel, où tout est éternel et empreint de félicité.

D’où la teneur de ce mantra, où l’humble serviteur du Divin le prie à mots couverts de le ramener auprès de lui, en son royaume. «Ne m’oublie pas!» lui dit-il. «N’oublie pas tout ce que j’ai fait pour me rapprocher de toi.» Il va de soi que le Bénéficiaire suprême de toutes les œuvres n’oublie rien, et encore moins ceux qui s’efforcent de le servir en pensées, en paroles et en actes. On pourrait donc croire que cette requête du spiritualiste est plutôt naïve, mais il n’en est rien.

Comme l’enseigne la Bhagavad-gita:

«Ce sont les pensées, les souvenirs de l’être à l’instant de quitter le corps qui déterminent sa condition future.»
Bhagavad-gita 8.6

Or, à l’heure de la mort, tout être humain peut revoir, comme dans un rêve, tout ce qu’il a fait au cours de son existence, et ces souvenirs risquent d’éveiller en lui une multitude de désirs matériels qui l’empêcheraient de retrouver sa forme originelle et de retourner dans le monde spirituel. Le spiritualiste qui en est venu à se vouer au Seigneur souhaite donc s’assurer de ne pas devenir victime de ses désirs latents à l’instant où son corps rend son dernier souffle et où son esprit vacille. Aussi prie-t-il le Seigneur de ne pas l’oublier, se donnant ainsi une sorte de double assurance, puisqu’il est entendu que le Seigneur ne saurait l’oublier.

Une vie de préparation

Reste que pour maximiser nos chances d’avoir le Divin à l’esprit et d’être en mesure de se rappeler à son bon souvenir au moment de la mort, nous devons avoir pris l’habitude d’écouter et de chanter son nom et ses gloires, tout en le servant au meilleur de nos capacités par la pratique du yoga sous le signe de la bhakti, avec amour et abandon.

D’autres formes de yoga peuvent donner de réaliser l’aspect Brahman de l’Absolu, ou encore la présence de son aspect localisé dans le cœur de tous les êtres, mais seule la pratique du bhakti-yoga permet de raviver une relation toute personnelle avec l’Être suprême. C’est dans cette direction que nous oriente la Shri Ishopanishad en s’adressant ici directement à l’aspect ultime de la Vérité absolue, Bhagavan, Bénéficiaire suprême et Seigneur des seigneurs.

Isha Upanishad – Mantra 17