Suite de la série «La reine des Upanishads».
Voir le volet précédent.
poushann ékarshé yama sourya prājāpatya vyouha rashmīn samouha
téjo yat té roupaṁ kalyāṇa-tamaṁ tat té pashyāmi yo ‘sāv asau pouroushaḥ so ‘ham asmi
«Ô Seigneur, toi le sage originel,
tu maintiens tous les univers
et veilles à ce que l’ordre y règne.
Toi, le point de mire des purs spiritualistes
et le bienfaiteur des pères de l’humanité,
fais disparaître, je t’en prie, l’éclat aveuglant de ton corps
pour que je puisse voir ta forme de félicité.
Tu es Dieu, l’éternelle Personne suprême,
comparable au soleil, comme je le suis d’ailleurs aussi.»
L’âme individuelle que je suis est en effet de la même nature que l’Âme suprême, au même titre que le soleil et ses rayons. Le soleil possède une identité propre, de même que les innombrables molécules des rayons qui en émanent. Ces dernières sont semblables à lui, tant par leur individualité que par le fait qu’elles partagent la même nature que lui, mais jamais elles ne sont égales à lui, car le soleil demeure la source unique de tous les rayons qui émanent de lui.
La comparaison avec le soleil est d’autant plus pertinente qu’à l’instar du déva du soleil, souverain sur son étoile, Le Seigneur des seigneurs règne sur la plus élevée des planètes spirituelles. Et comme l’explique la Brahma-samhita, telle la lumière qui émane du soleil, une éblouissante radiance émane du corps de la Personne suprême. Cette radiance nous empêche de voir la forme sublime du Divin, de même que notre regard ne saurait soutenir l’intense lumière qui se dégage du soleil.
Insistance raisonnée
La requête formulée dans ce mantra, «fais disparaître, je t’en prie, l’éclat aveuglant de ton corps», ajoute une note d’insistance à la prière déjà prononcée dans le mantra précédent: «Aie la bonté d’écarter ce voile.» L’Upanishad veut ainsi souligner l’importance de comprendre que le pur spiritualiste ne se contente pas de contempler l’éclat rayonnant du Brahman en tentant de se fondre en lui. Avide de percer le mystère de la Vérité absolue, il aspire à réaliser non seulement son aspect impersonnel, mais aussi sa forme personnelle, qui est celle de Bhagavan.
Le mantra précédent s’adressait au «soutien de tout ce qui vit», sans plus de précisions. Dans la veine d’insistance et de clarification du présent mantra, on constate toutefois que l’Être suprême est décrit tour à tour comme le sage originel, le bienfaiteur des pères de l’humanité et la personne qui veille à ce que l’ordre règne dans l’univers. Comme l’explique Jiva Gosvami dans son Bhagavat-sandarbha:
«Sachez que tous les aspects de la Vérité absolue sont réunis dans la personne de Dieu, car il est tout-puissant et parfaitement transcendantal. La Vérité absolue ne se manifeste qu’en partie dans le brahmajyoti, et c’est pourquoi on considère la réalisation du Brahman impersonnel comme incomplète.
«Sachez également que la première syllabe du mot Bhagavan a un double sens: celui de “parfait soutien” et celui de “gardien”; la deuxième syllabe veut dire “guide”, “chef” ou “créateur”; et la troisième indique que tous les êtres vivent en lui et qu’il vit en tous les êtres. En d’autres mots, le nom transcendantal de Bhagavan désigne celui qui possède pleinement la puissance, la richesse, la gloire, la beauté, le savoir et le renoncement infinis, sans aucune trace de souillure par la matière.»
Par sa grâce
L’insistance manifeste dans ce mantra par rapport au mantra précédent vise en outre à faire ressortir un point crucial, à savoir que personne ne peut lever le voile de l’Absolu par ses seuls efforts. La rencontre du Suprême ne devient possible qu’en gagnant sa faveur et que par sa grâce. La Katha Upanishad le confirme: nul ne peut voir et appréhender l’Être suprême à moins d’être béni par lui.
Or, si le Divin reste caché aux yeux de ceux et celles qui le nient et le dénigrent, c’est avec plaisir qu’il se révèle, se livre et se donne à quiconque n’a de cesse d’œuvrer à le mieux connaître et à rétablir sa relation personnelle avec lui en cherchant à le servir par les voies du yoga – plus précisément du bhakti-yoga. Cette dernière forme de yoga est en effet la mieux adaptée à la quête de l’Absolu dans sa forme personnelle, au-delà du Brahman impersonnel.
On comprend ainsi que la reine des Upanishads nous conduit graduellement à une compréhension de plus en plus approfondie du Suprême, et c’est là une de ses grandes forces.