Shri Vishnou

Suite de la série «La reine des Upanishads».

Voir le volet précédent.

andhaṁ tamaḥ pravishanti yé ’sambhoutim oupāsaté
tato bhouya iva té tamo ya ou sambhoutyāṁ ratāḥ

«Ceux qui adorent les dévas
s’enfoncent dans les régions les plus obscures de l’ignorance.
Mais le sort de ceux qui adorent un Absolu sans forme
est plus terrible encore.»


Après avoir, dans les trois mantras précédents, distingué le savoir spirituel des connaissances matérielles, de même que les fruits que procure le culture de l’un et des autres, l’Upanishad offre, dans ce verset et les deux suivants, un survol des étapes de la réalisation spirituelle.

Les dévas possèdent de grands pouvoirs en tant que responsables des différents aspects de la gestion de l’univers. Selon les Védas, il ne s’agit pas de figures allégoriques, mais bien de puissantes personnalités aux commandes des rouages du cosmos, des éléments et des lois de la nature. Ils s’appuient en cela sur le fait incontestable que tout ce qui est structuré, ordonné et organisé dépend d’une forme d’intelligence, et que toute intelligence appartient à un être vivant doté des facultés de penser, sentir et vouloir.

Les lois de la physique et de la chimie, le mouvement des corps célestes, le cycle des jours et des saisons, la nature et les caractéristiques distinctives des différentes espèces végétales et animales témoignent tous d’une complexité savante et d’interactions parfaitement orchestrées. Aucun ensemble d’une telle ampleur et aux comportements aussi hautement prévisibles sous l’effet de lois immuables ne saurait être le fruit du hasard, et encore moins d’un hasard qui se répète et se perpétue sans fin.

Qui se trouve derrière le décor et qui tire les ficelles des innombrables mécanismes qui assurent le bon fonctionnement de l’univers? Les dévas, nous expliquent les textes millénaires de l’Inde, tout comme ceux, d’ailleurs, de nombreuses autres cultures, quel que soit le nom qu’elles leur donnent. Ce qui fait de ces puissants agents de véritables divinités auxquelles beaucoup de gens rendent un culte dans le but d’obtenir d’elles différentes bénédictions.

Un culte inculte

Qu’y a-t-il de mal à solliciter les faveurs de plus grand et plus puissant que soi? A priori, rien. Alors pourquoi ce mantra de l’Isha Upanishad voue-t-il les adorateurs des dévas aux plus obscures régions de l’ignorance? Le langage est fort, mais non moins justifié.

Premièrement, comme le précise par ailleurs ce mantra, les dévas sont asambhouti, c’est-à-dire «dépendants». De qui? De leur grand patron, le Seigneur des seigneurs. Tout comme les ministres, sous-ministres et fonctionnaires subalternes d’un État se trouvent sous l’autorité ultime d’un roi, d’un président ou d’un premier ministre, les dévas dépendent entièrement de leur souverain maître. Ce que confirme le Bienheureux dans la Bhagavad-gita lorsqu’il affirme que tous les pouvoirs des dévas viennent de lui. Et contrairement à eux, lui est sambhouti – il ne dépend d’aucun supérieur.

Deuxièmement, les pouvoirs des dévas, si grands soient-ils, sont limités. Aucun déva ne peut accorder à qui que ce soit quelque bienfait que ce soit au-delà de son propre champ de compétence matériel.

Troisièmement, et cet argument est sans contredit celui qui a le plus de poids, les avantages matériels qu’une personne peut tirer du culte d’un déva ne font que contribuer au prolongement de son enchaînement au cycle des morts et des renaissances. Comment? En enracinant toujours plus son identification à son corps et son attachement aux plaisirs de ce monde. Bref, en perpétuant son ignorance de son identité spirituelle, sans égard au caractère éphémère de son corps périssable et à la futilité de ses désirs par rapport à sa soif de bonheur éternel.

Adorer le néant

Qu’en est-il maintenant de l’autre forme de culte évoquée dans ce mantra? Tous les philosophes, sages et yogis cherchent à distinguer l’Absolu du relatif. Mais leurs facultés intellectuelles étant limitées, ils ne réussissent qu’à nier tout ce qui est relatif sans pouvoir définir l’Absolu de façon positive et concluante.

Ils se font ainsi leur propre idée de l’Absolu, et s’imaginent que, par opposition à tout ce qu’ils connaissent de relatif, il doit être sans forme et sans attributs. Mais lorsqu’on définit une chose comme étant le contraire d’une autre, on reste dans le domaine du relatif.

Une telle conception de l’Absolu demeure impersonnelle et le limite à son aspect diffus, omniprésent et insaisissable, que les Védas désignent du nom de Brahman. Et les personnes désireuses de transcender les dualités relatives de ce monde qui souscrivent à une telle conception de l’Absolu ne peuvent qu’aspirer à se fondre dans cette négation de tout.

Pourquoi leur sort est-il si terrible? Parce qu’en niant ainsi leur propre individualité, il se privent de tout espoir de parfaire leur évolution, de développer leur identité spirituelle et de rétablir leur relation éternelle avec le Paramatma, l’aspect localisé de l’Absolu dans le cœur de chaque être et jusque dans l’atome, de même qu’avec Bhagavan, l’aspect suprême de l’Absolu, inconcevable mais non moins personnel, omniscient et bienheureux.

Si l’Upanishad met tant d’emphase sur ces points, c’est pour éviter de laisser planer quelque doute que ce soit sur la position des dévas et la nature de l’Absolu. Les Upanishads se composent d’aphorismes très succincts, mais révélateurs de réalités et de vérités abondamment décrites et expliquées dans d’autres écrits védiques pour ceux et celles qui souhaitent en approfondir la nature et la portée.

Isha Upanishad – Mantra 12