Shri Vishnou

Suite de la série «La reine des Upanishads».

Voir le volet précédent.

vidyāṁ tchāvidyāṁ tcha yas tad védobhayaṁ saha
avidyayā mrityuṁ tīrtvā vidyayāmritam ashnouté

«Qui cultive le savoir spirituel
tout en remplissant ses devoirs matériels
peut seul se libérer de la répétition des morts et des naissances.
Lui seul, et nul autre, peut jouir pleinement de l’immortalité.»


De tout temps, l’humain rêve d’immortalité. Les lois de la nature sont toutefois implacables, si bien que personne n’a jamais pu échapper à la mort. Il est évident que nul ne veut mourir, ni vieillir ou tomber malade. Mais les lois de la nature n’épargnent personne, et les progrès de la science n’ont jamais réussi à résoudre ces problèmes. Les savants sont parvenus à accélérer la mort avec des inventions comme la bombe atomique, mais ils sont incapables de nous protéger des griffes de la maladie, de la vieillesse ou de la mort.

Les Puranas parlent d’un roi impie du nom de Hiranyakashipou, fermement résolu à vaincre la mort. Par des austérités inimaginables, il parvint à obtenir des pouvoirs surnaturels d’une telle puissance qu’il perturbait complètement tous les systèmes planétaires. Il voulait ainsi forcer le régent de l’univers, Brahma, à descendre jusqu’à lui pour lui donner l’immortalité. Mais Brahma ne pouvait lui accorder cette bénédiction, car lui-même, le plus grand de tous les dévas, n’est pas immortel.

Tel est pris qui croyait prendre

En sanskrit, hiranya veut dire «or», et kashipou se traduit par «lit moelleux». Ce sont ces deux choses qui, par-dessus tout, intéressaient le roi: l’argent et les femmes; et il se disait qu’en devenant immortel, il pourrait en jouir indéfiniment. Il essaya donc, par la ruse, d’obtenir de Brahma toutes sortes de bénédictions qui, croyait-il, le rendraient finalement immortel. Il insista par exemple pour qu’aucun homme, animal ou déva puisse le tuer. Il demanda également de ne mourir ni sur la terre ferme, ni dans les airs, ni dans l’eau. Il s’assura encore qu’aucune arme ne pourrait le frapper mortellement. Et Brahma exauça tous ses vœux.

Reste qu’en dépit de toutes ces précautions, Hiranyakashipou rencontra bel et bien la mort. C’est l’avatar mi-homme mi-lion en personne qui vint le tuer. Sa forme n’appartenait à aucune espèce vivante connue. Pour tuer le roi, il utilisa ses griffes, qui ne sont pas une arme à proprement parler. Et l’outrecuidant ne mourut ni sur la terre ferme, ni dans les airs, ni dans l’eau, mais sur les genoux d’une manifestation divine, dans une forme fabuleuse qu’Hiranyakashipou n’aurait jamais pu imaginer.

L’avatar mi-homme mi-lion

La morale de cette histoire est que nul, si puissant soit-il, et malgré les plus folles machinations, ne peut échapper à la mort. Que dire alors des petits Hiranyakashipou d’aujourd’hui, dont les plans sont déjoués à chaque instant? C’est pourquoi la Shri Ishopanishad enseigne qu’il ne sert à rien de chercher à vaincre les lois de la nature au moyen d’artifices matériels. La seule façon de devenir immortel nous est donnée dans ce mantra: elle consiste à développer la conscience de son identité spirituelle jusqu’à s’affranchir de l’emprise de la matière.

Une recette simple

Pour ce faire, il suffit de puiser aux multiples ressources qu’offrent toutes les grandes traditions spirituelles: textes sacrés, enseignements millénaires, saints maîtres et pratiques éprouvées depuis l’aube des temps. Toutes ces ressources peuvent nous aider à vivre plus heureux en ce monde et à retrouver la forme spirituelle et immortelle de l’âme au moment de le quitter.

Les êtres spirituels que nous sommes ne peuvent prolonger leur séjour en ce monde au-delà de la durée d’existence impartie à leur enveloppe charnelle. Mais en renouant avec notre nature véritable et en ravivant notre relation avec l’Absolu, nous pouvons d’ores et déjà apprendre à transcender les limites de la matière et nous préparer à retourner dans le monde spirituel – notre demeure originelle –, libre des contraintes que nous imposent notre identification au corps et notre attachement à la satisfaction de nos sens. C’est là l’essence même de la pensée védique.

La maladie, la vieillesse et la mort nous rappellent d’ailleurs à chaque instant que nous ne sommes pas faits pour vivre dans la matière. Hommes et femmes d’intelligence en prennent conscience, et en viennent ainsi à cultiver le savoir spirituel tout en poursuivant leurs activités quotidiennes.

Contrairement à ce que croient beaucoup de gens, il n’est absolument pas nécessaire de s’isoler du monde pour vivre sa spiritualité. La spiritualité se cultive en effet tout en s’acquittant de ses obligations humaines. Le secret consiste à s’efforcer d’imprégner ses pensées, ses paroles et ses gestes de la claire conscience de son identité spirituelle et de son lien éternel avec l’Infiniment fascinant. Conscience qui se développe tout naturellement en cultivant le savoir spirituel.

La fièvre de l’illusion

Notre soif d’immortalité tient à ce que les êtres vivants que nous sommes ne sont en réalité sujets ni à la naissance ni à la mort; ces phénomènes ne touchent en effet que le corps, l’enveloppe matérielle de l’âme. Si nous devons vie après vie revêtir un corps qui nous empêche de profiter pleinement de notre immortalité, c’est parce que nous continuons à nous laisser ensorceler par la beauté trompeuse de l’énergie illusoire et les promesses de plaisir qu’elle offre à nos sens matériels.

Nous sommes pris dans ce tourbillon depuis si longtemps que nous oublions que nous avons aussi des sens spirituels, et que tous les plaisirs que nos sens matériels sont susceptibles de nous procurer ne sont en réalité qu’un pâle reflet des divertissements inhérents à la vie spirituelle.

Il n’est pas normal pour l’âme d’être emprisonnée dans un corps matériel. Pour s’affranchir de sa condition et réintégrer sa forme spirituelle, elle doit guérir de la fièvre matérielle qui lui donne l’illusion de pouvoir trouver un bonheur durable en ce monde où rien n’est jamais permanent. En s’abandonnant sans réserve aux plaisirs trompeurs de ce monde, on ne parvient qu’à faire grimper la fièvre et les maux qui l’accompagnent. Pour recouvrer la santé et jouir pleinement de notre immortalité, nous devons faire baisser cette fièvre en cultivant le savoir spirituel. Tel est le but de la vie humaine.

Isha Upanishad – Mantra 11