Suite de la série «La reine des Upanishads».
Voir le volet précédent.
anyad évāhour vidyayā-nyad āhour avidyayā
iti shoushrouma dhīrāṇāṁ yé nas tad vitchatchakshiré
«Les sages nous ont expliqué que la culture du savoir spirituel
donne des fruits différents de celle de la connaissance matérielle.».
Sages et grands maîtres ont maintes fois insisté sur le fait que les multiples ramifications de la connaissance matérielle sont autant de manifestations trompeuses de l’énergie illusoire de l’Absolu, du pouvoir de fascination qu’exerce le déploiement de l’univers. Trompeuses, parce que tout y est en constante transformation et, par-dessus tout, périssable, donc dépourvu de réalité durable.
Par mesure de précision, il importe ici de comprendre que ce qui est trompeur ou illusoire, ce n’est pas d’étudier la chimie, la physique ou la géologie pour mieux comprendre le fonctionnement de l’univers. C’est de consacrer toutes ses énergies à l’étude du comportement de la matière et des multiples forces en présence dans l’univers, au détriment de l’étude de l’essence même de la vie et de notre raison d’être.
C’est cette distinction que fait ressortir ce mantra de l’Isha Upanishad.
Un voile insidieux
La culture du savoir matériel sous ses multiples formes vise expressément à nous permettre de mieux jouir de la vie, à amoindrir nos souffrances, à combattre la maladie et à vaincre la mort. Mais malgré tous les progrès de la science prise dans son ensemble, rien n’arrête les guerres ou les cataclysmes. De plus en plus de maladies résistent aux traitements et de nouveaux virus menacent de décimer nos sociétés. La pauvreté ne cesse de gagner du terrain alors que les riches ne cessent de s’enrichir. Et, malgré tous nos efforts pour nous en prémunir, tout le monde continue à mourir, comme cela a toujours été.
C’est là la nature de la vie en ce monde, et chercher à le nier en poursuivant sans fin des solutions matérielles à tous nos problèmes, c’est tomber sous le coup de l’illusion que nous avons le pouvoir de tout contrôler. C’est en réalité faire preuve d’une ignorance crasse, et jouer l’autruche qui s’enfonce la tête dans le sable plutôt que de regarder la vérité en face.
Tous les êtres en ce monde n’y séjournent que le temps d’une vie, et bien que sa longévité soit infiniment plus grande que la nôtre, l’univers est lui-même temporaire. Tout en cherchant à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons et le fonctionnement de notre propre corps, il importe donc de cultiver une autre forme de savoir, soit celle de la vie qui anime ce corps et qui le quitte au moment de la mort. Celle de nos origines et de notre finalité. Celle de la dimension spirituelle de l’existence, voilée par notre identification au corps comme s’il n’existait rien au-delà des éléments périssables qui le composent.
Poussières dans le vent
Nous avons tendance à oublier que notre planète n’est qu’une boule de matière flottant dans l’espace comme une multitude d’autres corps célestes. Dans l’immensité du cosmos, ces masses impressionnantes à nos yeux sont comme autant de poussières dans le vent. Si elles flottent et se déplacent dans un ordre parfait, c’est parce que, partant du principe que jamais l’ordre ne naît du néant ou du chaos, une intelligence infiniment plus grande que la nôtre a instauré cet ordre et en assure le maintien par l’entremise de ses pouvoirs et de ses énergies.
Nos savants sont très fiers de leurs satellites, lesquels obéissent aux mêmes lois que les grands corps célestes, mais ils ne s’intéressent pas au Savant suprême, qui a créé des satellites beaucoup plus impressionnants que les leurs!
Nous ne sommes nous-mêmes, minuscules créatures, parcelles microscopiques du Suprême, que poussières dans le vent entre naissance et mort. Mais plutôt que de reconnaître la suprématie de l’Infiniment fascinant et d’accomplir son dessein en nous mettant à son service, nous persistons à vouloir nous rendre maîtres de l’univers, alors que nos efforts sont constamment frustrés par les forces de la nature et par les incontournables impératifs de la dégénérescence graduelle de notre enveloppe charnelle jusqu’à son entière extinction.
Limites infranchissables
La question de l’origine de l’univers est l’une des plus grandes questions non résolues en science. La théorie la plus largement acceptée de nos jours est celle du Big Bang. Mais les plus fervents défenseurs de cette théorie sont eux-mêmes forcés d’admettre qu’ils n’ont aucune idée de ce qui a pu provoquer un tel événement, ni de ce qui existait avant.
D’autres théories tentent bien entendu d’expliquer la chose, comme celle des multivers et les nombreuses variantes inspirées de la physique quantique, mais aussi captivantes qu’elles puissent être, elles demeurent toutes hautement spéculatives et impossibles à démontrer.
L’autre grande question à laquelle la science n’a aucune réponse est celle de l’origine de la vie, dont la nature échappe à toutes les caractéristiques de la matière.
La connaissance matérielle a donc ses limites, et les scientifiques sont les premiers à reconnaître ces limites, même en ce qui a trait à des phénomènes tenus pour relever de la physique la plus élémentaire, comme le temps et la gravité. Ils espèrent naturellement pouvoir tout expliquer un jour, mais le fait est que nombre de questions essentielles ne peuvent tout simplement pas trouver réponse dans l’étude de la matière.
La teneur de ce mantra de l’Isha Upanishad tient précisément au fait que certaines questions débordent du cadre de la science matérielle, de sorte qu’il y a également lieu de cultiver la science spirituelle pour accéder à une image complète de la réalité.
Évitons de mettre tous nos œufs dans le même panier
La science spirituelle n’étant pas au programme de nos établissements d’enseignement actuels, il convient de la puiser ailleurs. De nombreux textes font autorité en la matière dans différentes traditions, et il est fortement conseillé de les étudier sérieusement. La meilleure façon de le faire consiste à approcher un maître à même d’en éclairer et d’en contextualiser les enseignements.
Un tel maître, ou sage (dhira), pour reprendre le terme de ce mantra, doit être affranchi des influences matérielles susceptibles de voiler sa vision et son jugement. Autrement dit, il doit être en mesure de présenter la vérité telle qu’elle est, en distinguant clairement ses composantes spirituelles de ses composantes matérielles.
Les fruits du savoir matériel diffèrent de ceux du savoir spirituel, et les maîtres respectifs de ces deux formes de savoir diffèrent également. Or, de même que les maîtres du savoir matériel tiennent leurs connaissances des maîtres qui les ont précédés, les maîtres du savoir spirituel tiennent les leurs d’une longue lignée de maîtres accomplis. Et il n’appartient pas plus aux uns qu’aux autres de déformer ou de fausser les enseignements qu’ils ont reçus. Leur tâche consiste plutôt à les développer et à les enrichir.
En définitive, à partir du moment où l’on prend conscience de ce que la culture du savoir spirituel ouvre des portes tout autres que celle du savoir matériel, on peut avantageusement cesser de mettre tous ses œufs dans le même panier et entreprendre de cultiver en parallèle ces deux formes complémentaires de savoir pour tirer le meilleur parti qui soit de notre existence.