La spiritualité peut-elle jouer un rôle dans le règlement de la crise écologique mondiale?
En deux mots: bien sûr! Les mesures pratiques visant à amoindrir les dégâts sont incontestablement utiles et nécessaires, qu’il s’agisse, entre autres, de réduire l’usage des plastiques, de remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables, ou de privilégier les produits écoresponsables. La sagesse védique nous propose cependant une approche plus globale de la question fondée sur une juste compréhension des causes profondes de la crise actuelle.
Permettez-moi d’abord de citer l’historien Lynn Townsend White Jr., qui, dès 1967, publiait un article sur les racines historiques de notre crise écologique dans la prestigieuse revue Science. Suit un résumé de ses constats fondés sur l’observation de trois paradigmes successifs.
1. La nature n’est que le décor dans lequel s’opère la rédemption de l’humanité.
Avant l’ère commune, aussi bien en Orient qu’en Occident, la nature était tenue pour sacrée et consciente, empreinte d’esprits et de gardiens. Aussi la traitait-on avec respect, circonspection et révérence.
Par la suite, la victoire des religions sémitiques anthropocentriques – judaïsme, islam et christianisme – sur le paganisme a tôt fait de planter les graines de la destruction de la planète. Comment? En désacralisant la nature. En n’y voyant plus qu’une toile de fond sur laquelle se joue le drame cosmique de l’espèce humaine.
2. La nature est une force hostile que l’humanité doit conquérir par la science.
Au vu des catastrophes naturelles qui ont périodiquement dévasté l’humanité au fil de son histoire, la nature en est aussi venue à être perçue comme une redoutable menace à conjurer.
Lorsque la science et la technologie ont brandi la promesse de plier la nature à la volonté de l’homme, la vision sémitique de la nature a d’emblée facilité l’exploitation des ressources naturelles par la déforestation, l’extraction des minerais et l’industrialisation. Les lois de la chimie et de la physique étant désormais tenues pour suprêmes, la notion de Dieu des grandes religions est vite devenue accessoire, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche allant même jusqu’à proclamer la mort de Dieu.
3. La nature constitue la totalité de ce qui est et incarne dès lors l’objet même de la spiritualité.
Les exploits et les progrès de la science érigée en maître suprême, sans égard aux conséquences de l’exploitation massive de la nature, ont bientôt eu pour effet de polluer l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons, de susciter des changements climatiques dévastateurs, et d’engendrer une perte de biodiversité qui menace de plus en plus la survie même de l’humanité.
C’est ainsi qu’est né l’écologisme radical, faisant de la nature son Dieu, et du souci de l’environnement sa religion. Ses efforts pour renverser la vapeur et redresser la situation sont sans doute louables, mais cette forme de spiritualité sans âme et sans aucun sens du sacré, entièrement tournée vers l’extérieur, ne donne aucun sens profond à la vie humaine et ne nourrit en rien l’amour universel au cœur de la communauté humaine.
Un quatrième paradigme?
Le militantisme écologique, dont les plus fervents adeptes déifient la nature et l’environnement, rappelle étrangement le paganisme et les traditions les plus primitives de l’histoire des civilisations. Serions-nous en train de tourner en rond et de retourner à la case départ?
N’existe-t-il pas une vision du monde qui allie les vertus des trois paradigmes décrits ci-dessus? À savoir la promesse de vie éternelle par grâce divine des religions sémitiques, le pouvoir de l’intelligence humaine mis de l’avant à l’Ère de la science, et la conscience profonde de l’environnement promue par l’écologisme radical? Eh bien oui!
La vision du monde que nous livrent les Védas fait du respect et de la protection de la nature un élément fondamental de toute démarche humaine ou spirituelle axée sur une forme ou une autre d’accomplissement ou de salut.
Sans déifier la nature (comme dans le paganisme et l’écologisme radical), sans non plus minimiser la nature (comme dans les religions sémitiques) et sans froidement exploiter la nature (comme dans les sociétés fondées sur la science et la technologie), la vision du monde découlant des Védas repose sur l’entendement que la nature et l’humanité sont toutes deux parties intégrantes d’un Grand Tout et dépendantes de leur source commune, suprême et absolue.
Par conséquent, la perfection recherchée à travers les différents paradigmes ne saurait venir seulement de l’harmonie entre l’homme et la nature; elle ne peut être atteinte que dans une étroite harmonie entre l’humain et le Divin à travers une utilisation symbiotique de la nature.
L’indispensable rôle du spirituel
Une vision du monde strictement binaire de type homme-nature ne fait qu’opposer deux forces concurrentes. La nature seule ne peut procurer à l’humain le plein accomplissement de soi et le bonheur durable qu’il recherche si ardemment à travers toutes ses entreprises. Elle ne peut que satisfaire ses besoins les plus élémentaires. Et l’homme seul ne peut ni modifier ni contrôler les lois de la nature. Il ne peut que l’utiliser le plus judicieusement possible afin d’en préserver l’équilibre. La vision trinitaire du monde soutenue par les Védas, fondée sur l’harmonie entre le Divin, l’humain et la nature, comble avantageusement les lacunes des paradigmes binaires en précisant les liens entre l’humain et le Divin, entre la nature et le Divin, ainsi qu’entre l’humain et la nature.
La planète n’a pas besoin de nous pour se sauver. Si nous l’y obligeons, elle finira simplement par nous écarter pour se regénérer. L’humain n’a pas non plus besoin de la nature pour s’accomplir et se réaliser pleinement. La nature lui fournit tout le nécessaire pour manger, dormir, s’accoupler et se défendre, comme elle le fait pour toutes les autres espèces vivantes. Mais elle ne lui fournit aucune information sur son origine, sur son identité profonde et sur sa finalité.
Le troisième élément de l’équation qu’est le Divin, personnifié ou non, peut seul nous permettre de faire les liens qui s’imposent entre le matériel et le spirituel, entre le relatif et l’absolu, et de comprendre notre juste rapport à la nature et à la source de tout ce qui existe.
Au final, en intégrant la spiritualité à notre vision du monde et en adoptant au quotidien des pratiques qui favorisent une saine harmonie entre humains, entre l’humain et la nature, de même qu’entre l’âme qui nous anime et le Divin dont elle fait partie intégrante, nous pouvons directement contribuer à la résolution non seulement de la crise écologique mondiale, mais aussi de toutes les crises humanitaires, économiques, sanitaires, politiques, énergétiques et existentielles.
Faute de le faire, les résultats de tous les efforts que nous pouvons déployer resteront toujours incomplets et imparfaits. Pour sauver la planète et nos semblables, nous devons d’abord nous sauver nous-mêmes. Et c’est précisément là le rôle de la spiritualité.