Vaste sujet, que celui de la connaissance. Elle fuse de toutes parts, et ses ramifications sont pour ainsi dire infinies. Les Védas nous rappellent toutefois que, quels qu’en soient la nature ou l’objet, la teneur ou la portée, la simplicité ou la profondeur, sa valeur dépend essentiellement de sa forme et de sa source, lesquelles varient en fonction de son mode d’acquisition.
La connaissance ne dépend pas que du niveau d’étude ou d’instruction de celui ou celle qui la possède. Elle suit en effet une courbe ascendante étroitement liée à une échelle de gradation dont les jalons sont clairement définis dans les Védas.
L’échelle de la connaissance couvre tous les domaines. Elle revêt naturellement une importance indéniable en ce qui concerne la compréhension de l’univers physique dans lequel nous vivons. Mais elle joue aussi un rôle essentiel dans l’entendement de la dimension métaphysique de ce même univers – sur le plan cosmique –, et de notre existence propre – sur le plan individuel.
L’échelle en question comporte cinq paliers.
La connaissance expérimentale
Au premier degré se trouve la connaissance dite «expérimentale» (pratyaksha-gyana). Cette forme de connaissance repose entièrement sur l’acquisition d’informations par l’entremise de nos sens. Il s’agit de la forme de connaissance la plus courante et la plus élémentaire.
Nos sens étant imparfaits, cette forme de connaissance prête largement à interprétation. Différentes personnes peuvent en effet avoir des perceptions différentes d’un même événement. Par ailleurs, de nombreux phénomènes physiques dépassent nos facultés perceptuelles. Il suffit de penser aux ultrasons, aux rayons ultraviolets ou aux nanoparticules. Cette première forme de connaissance ne peut donc nous fournir que des renseignements limités sur le monde qui nous entoure, et elle n’est d’aucune utilité pour comprendre tout ce qui échappe à nos sens.
La connaissance transmise
Au second degré se trouve la connaissance dite «transmise» (paroksha-gyana). Il peut s’agir de la connaissance livresque, ou reçue d’une personne reconnue comme une autorité dans un domaine donné. Mais il peut aussi s’agir de la connaissance acquise auprès d’une personne qui a simplement vécu une expérience ou été témoin d’un phénomène à l’égard desquels nous ne disposons d’aucune référence antérieure.
Cette forme de connaissance a l’avantage d’élargir nos perspectives en nous sensibilisant à des réalités qui nous sont étrangères ou dont nous n’avons qu’une compréhension sommaire. Elle a d’autant plus de poids qu’elle peut être répétée, et donc «confirmée» par plusieurs sources. Il y a toutefois là une lame à deux tranchants, car si l’information transmise est fausse ou déformée, sa propagation risque d’induire en erreur plutôt que d’éclairer. Cette forme de connaissance reste théorique, et comporte donc aussi ses limites.
La connaissance directe
Au troisième degré se trouve la connaissance dite «directe» (aparoksha-gyana). De nature conceptuelle ou philosophique, elle provient de la réalisation ou de l’intégration de la connaissance expérimentale et de la connaissance transmise. Elle repose sur l’application des processus intellectuels faisant appel à nos facultés de raisonnement et d’analyse.
Cette forme de connaissance a le mérite de favoriser la compréhension de l’information reçue de différentes sources. Elle contribue par ailleurs à façonner le discernement et le jugement. Elle est qualifiée de «directe» parce qu’elle procure, à partir de données externes, une expérience proprement personnelle.
La connaissance révélée
Au quatrième degré se trouve la connaissance dite «révélée» (adhokshaja-gyana). De nature métaphysique, elle dépasse les voies d’acquisition du savoir qui dépendent des sens, du mental et de l’intelligence. Elle s’obtient par la méditation, la pratique des mantras et différentes disciplines yogiques ou cultuelles qui ont pour effet d’épurer les facultés perceptuelles.
Cette forme de connaissance particulière confère une vision globale du temps et de l’espace; des forces qui sous-tendent l’action et les réactions qui en découlent; des composantes de l’énergie matérielle; de la nature des êtres vivants; et de la source maîtresse de l’énergie spirituelle.
La connaissance suprême
Au cinquième degré se trouve la connaissance dite «suprême» (aprakrita-gyana). De nature purement surnaturelle, elle ouvre les voies de la transcendance, et marque l’aboutissement de la connaissance révélée. Seules les personnes entièrement affranchies de toute conception matérielle de l’existence et de leur propre identité intègrent cette forme de connaissance.
Étape par étape
Sur le plan strictement physique, on ne s’intéresse qu’à la connaissance expérimentale, fondée sur la perception des sens et sur les instruments conçus pour en étendre la portée. Elle comporte toutefois une marge d’erreur plus ou moins importante, et se limite à des applications pratiques de la vie de tous les jours.
Pour appréhender tout ce qui est hors de portée immédiate des sens, la connaissance expérimentale doit en premier lieu être complétée par la connaissance transmise. Mais qu’elle soit reçue verbalement ou par l’étude de divers textes, celle-ci demeure théorique. L’apport de la connaissance directe s’avère donc nécessaire pour réaliser les concepts intégrés à partir des éléments d’information pratiques et théoriques acquis aux deux premiers paliers.
Les trois premiers degrés de l’échelle de la connaissance reposent respectivement sur les sens, le mental et l’intelligence. Pour accéder à la dimension spirituelle, au-delà de l’intelligence, il faut cependant s’ouvrir à la connaissance révélée. Ce qui devient possible en cultivant soigneusement la connaissance directe jusqu’à saisir la nature de l’âme, aussi bien dans sa forme individuelle que dans sa forme suprême.
Comme l’explique la Bhagavad-gita:
«Les sens prévalent sur la matière inerte; supérieur aux sens est le mental, et l’intelligence surpasse le mental. Mais plus élevée encore est l’âme.»
Bhagavad-gita, 3.42
Aux confins du savoir
Certains philosophes croient que la vérité concernant la dimension spirituelle est d’ordre spéculatif. Qu’elle ne peut jamais être véritablement cernée ni appréhendée. Mais comme en témoignent d’innombrables saints, grands maîtres et autres âmes réalisées à travers les âges, le fait est que tout un chacun peut directement en faire l’expérience. Il suffit, pour cela, de se purifier de toute conception limitative de la réalité afin d’acquérir la vision spirituelle qui donne accès à la connaissance révélée. Les techniques pour y parvenir sont présentées dans les Védas et se développent auprès d’un maître compétent appartenant à une filiation spirituelle dûment établie.
Sachant que la Vérité absolue peut être réalisée sous trois aspects, il est intéressant de noter que la connaissance directe peut, dans sa forme la plus poussée, mener à la réalisation du Brahman impersonnel et omniprésent. Que la connaissance révélée mène à la réalisation du Paramatma, l’aspect localisé de l’Absolu. Et que seule la connaissance suprême donne de réaliser l’Absolu dans sa forme divine et personnelle de Bhagavan.
À la lumière de ces repères, on peut clairement dire qu’il y a connaissance et connaissance… Et qu’il est heureux d’apprendre que nous pouvons bel et bien faire l’expérience non seulement de la dimension matérielle de la réalité, mais aussi de sa dimension spirituelle. Un beau défi à relever!