Une certaine Émilie K. a écrit cette lettre à la veille de sa mort, et elle a demandé qu’elle soit envoyée à tous ses parents et amis après son départ. Je n’ai pas connu Émilie, mais une amie commune m’a transmis sa lettre dans l’espoir que les lectrices et les lecteurs de mon blogue y trouvent une certaine inspiration.

Chers vous tous,

Si vous lisez ceci, c’est que le cancer a finalement eu raison de ma carcasse.

Mais laissez-moi vous dire une chose pendant que j’en suis encore capable: je n’ai pas «perdu la bataille» contre le cancer. Et je veux que ce soit clair comme de l’eau de roche. Ce fumeux verdict qu’on assène bêtement aux cancéreux est parfaitement ridicule.

La culture occidentale est si mal à l’aise de parler de la mort qu’elle a créé cette analogie de lutte qui n’a pour effet que d’humilier ceux et celles qui ne survivent pas au mal qui les dévore, comme s’il s’agissait d’un échec.

Eh bien, j’ai un sacré scoop pour vous: cancer ou pas, personne ne sort vivant de cette fabuleuse et tortueuse aventure qu’est la vie!

Personne n’a à avoir honte de mourir d’un cancer ou de quelque autre maladie dévastatrice. Et ça n’a pas besoin d’être un combat non plus. Que ça nous plaise ou non, le fait est qu’il s’agit d’une transition naturelle par laquelle nous devons tous passer un jour ou l’autre. Voilà, c’est dit.

Après ma deuxième chimio, je me suis offert un voyage au Népal, au sommet du monde, pour prendre du recul et tenter de donner un sens à ce qui m’arrivait. J’ai eu la chance – mais était-ce vraiment un hasard? – d’y rencontrer une sorte de shaman avec qui j’ai discuté de ma condition et qui m’a demandé: «Fuis-tu la mort ou cours-tu vers la vie?»

Ça m’est rentré dedans comme un coup de poing. Ou plutôt comme un flash. J’ai tout de suite compris que je ramais plus souvent qu’autrement dans la mauvaise direction. Que je laissais la peur guider mes choix. Que je cherchais à compenser mon mal de vivre par toutes sortes de distractions. Que je me souciais de ce que les gens allaient penser de moi. Bref, que j’avais tendance à nager à contre-courant plutôt que de surfer sur les vagues de la vie et des jours qui me restaient.

Au bout d’un moment, le vieux sage a ajouté:

— Si ça peut t’aider à accepter ta condition et à courir vers la vie, rappelle-toi que tu n’es pas ce corps.

— Quoi? Mais ce corps, c’est tout ce que j’ai!

— Précisément. Comme tu le dis si bien toi-même, ce corps est quelque chose que tu AS, et non que tu ES.

— Je suis quoi, alors?

— C’est à toi de le découvrir. Ça fait partie de ta mission de vie. Je peux bien sûr te dire que ton corps est constitué d’éléments matériel alors que ton être est d’essence spirituelle, mais toi seule peut reprendre conscience de cette identité oubliée. Laisse-toi guider par ta voix intérieure.

Ouf! Ça en faisait beaucoup à avaler, et mon voyage tirait à sa fin. Le vieux avait repris son chemin, et j’allais faire de même. Ses paroles m’ont toutefois rappelé cette maxime vieille comme le monde, plus ancienne encore que les grands philosophes de l’Antiquité: «Connais-toi toi-même.»

Nous l’avons toutes et tous entendue, mais l’avons-nous jamais prise au sérieux? Moi pas, et je me rends compte, alors que ma fin approche, que j’aurais donc dû.

Mais l’heure n’est pas aux regrets. Je suis reconnaissante qu’un messager ait été mis sur ma route. Je comprends maintenant qu’il ne sert à rien de m’apitoyer sur mon sort, et encore moins d’essayer d’échapper à la mort. J’accepte désormais de courir vers la vie plutôt que de regarder en arrière. Je comprends que la mort n’est qu’un passage, et que j’aurai sans doute la possibilité, dans un autre corps ou une autre dimension, de mieux comprendre qui je suis vraiment.

J’ai conscience de mes pensées, de mes désirs, de mes émotions… et de ce corps qui me fait terriblement souffrir à l’heure où j’écris ces mots. Mais je réalise que je n’ai jamais pris la peine de m’interroger sur la nature profonde de mon être. D’où est-ce que je viens et où est-ce que je vais? Pourquoi suis-je née? Pourquoi dans ce corps plutôt qu’un autre? Et pourquoi dois-je partir alors que je me plaisais bien ici avant que le cancer vienne tout gâcher.

J’ai confiance qu’en poursuivant mon destin au-delà de la mort, j’aurai l’occasion de trouver des réponses à ces questions, mais je vous avoue que j’aurais vraiment aimé y voir plus clair avant.

Pourquoi je vous dis tout ça? Parce que je vous aime, et je me dis que ça peut vous servir.

Profitez de chaque instant que la vie vous offre. Entourez-vous de gens qui vous aiment. Saisissez toutes les occasions qui se présentent à vous, et essayez d’être toujours la meilleure version de vous-même. Je n’ai pas de conseils à vous donner, mais je pense sincèrement que vous avez tout à gagner à prendre aussi le temps, chaque jour qui passe, de chercher à découvrir qui vous êtes vraiment et de trouver des réponses aux questions qui nous poursuivent finalement toute notre vie. Je l’aurais moi-même fait avant si j’avais su.

N’attendez pas d’être vieux pour regarder les choses en face et pour vous poser les vraies questions. Qui sait? Peut-être que, comme moi, vous n’aurez pas le privilège d’atteindre «le bel âge», comme on dit. Tout ce que je peux vous dire, c’est que je sais aujourd’hui par expérience qu’un minimum d’introspection peut grandement aider à négocier les mauvais virages de la vie et à accepter la mort quand elle viendra, fier de la façon dont on a vécu.

Soyez heureux. Je vous aime, et qui sait, peut-être nous reverrons-nous en d’autres temps et d’autres lieux…

Émilie K.

Celle dont personne ne veut parler