S’il est un mot qu’on voit et qu’on entend plus souvent qu’à son tour lorsqu’il est question des Védas, de yoga, de méditation ou de réalisation spirituelle, c’est bien celui-là. Et ce n’est pas par hasard, car ce mot est particulièrement riche de sens, au propre comme au figuré. Il recouvre en effet une variété de réalités qui méritent d’être appréhendées de plus près.

Le tout premier verset du Védanta-sutra, qui synthétise la conclusion philosophique de tous les textes védiques, se lit comme suit:

athato brahma jigyasa

Cet aphorisme – véritable mantra repris par les sages et les grands maîtres au fil des âges – signifie:

«Nous devons maintenant nous enquérir du Brahman.»

Ce «maintenant» sous-entend «… que nous avons une forme humaine». Dans l’échelle des espèces, la forme humaine est la seule à pouvoir s’interroger sur son origine et sa finalité. Les Védas enseignent donc que nous devons l’utiliser non seulement pour manger, dormir, nous accoupler et nous défendre – ce que peuvent toutes les autres espèces, et souvent mieux que nous –, mais aussi et surtout pour prendre conscience du sens de la vie et nous élever au-dessus des dualités et des contingences du monde dans lequel nous vivons. D’où la quête du Brahman si vivement recommandée d’entrée de jeu dans le fameux Védanta-sutra, dont l’autorité est reconnue par toutes les écoles de pensée védiques.

La lumière divine

Le Brahman se définit globalement comme l’Absolu dont tout procède, le fondement et la cause ultime de tout ce qui existe. Mais sous cette large définition se cache une variété d’acceptions plus précises.

La première, et sans doute la plus répandue, est celle qui désigne l’aspect impersonnel de la Vérité absolue, soit la radiance infinie dans laquelle baigne le monde spirituel et dans laquelle cherchent à se fondre certains spiritualistes dans l’espoir de ne plus faire qu’un avec l’Absolu.

Cette notion vient d’une conception erronée selon laquelle la libération de la condition matérielle consiste à se fondre dans la lumière pour y perdre son individualité et ainsi échapper aux dualités de l’existence en ce bas monde. Erronée parce que les impersonnalistes qui atteignent la réalisation du Brahman conservent en fait leur individualité. Ils n’ont simplement plus d’organes sensoriels pour satisfaire leurs désirs, si bien qu’ils risquent tôt ou tard de reprendre un corps matériel pour parfaire leur évolution.

L’âme spirituelle

Dans un second emploi, le mot brahman désigne l’âme spirituelle infinitésimale qui anime chaque être vivant. On parle alors du vigyana brahman. Cette acception relève d’un autre aphorisme bien connu des spiritualistes: aham brahmasmi, «Je suis brahman», c’est-à-dire un être de nature spirituelle distinct de mon corps physique et de mon mental.

Certains commentateurs ont cru pouvoir interpréter cet aphorisme comme voulant dire que chacun de nous est le Brahman, l’Absolu, ou Dieu, mais cette interprétation va à l’encontre de tous les enseignements védiques, où le microscopique vigyana brahman est à jamais différent et distinct de l’ananda brahman, soit l’infini Brahman suprême.

Le savoir révélé

Un troisième sens que revêt le mot brahman est celui de shabda-brahman, qui correspond au savoir contenu dans les Védas. Il est d’ailleurs dit: pragyanam brahma, «le Brahman est savoir». Ce savoir est qualifié de shabda – de vibration sonore purement spirituelle – parce qu’il émane directement du Brahman, de l’Absolu, et ne comporte donc aucune des failles propres aux connaissances codifiées par les humains. Il est en outre transmis sans altération par une succession de maîtres accomplis et pleinement réalisés depuis l’aube des temps.

La nature matérielle

Le mot brahman désigne également l’énergie matérielle, aussi appelée la nature matérielle. Il s’agit dans ce cas du maha-brahman, du «grand brahman», qui représente l’entièreté de la manifestation cosmique, des éléments dont elle se compose et des êtres qui l’habitent. Comme l’enseigne la Chandogya Upanishad: sarvam khalv idam brahma, «l’univers est Brahman». Autrement dit, le Brahman englobe tout, et rien n’existe hors du Brahman.

Le Seigneur des seigneurs

Enfin, Brahman est couramment employé pour désigner l’Être suprême, le param brahman. Celui dont procèdent les deux autres aspects de l’Absolu, à savoir le Brahman impersonnel omniprésent et l’Âme universelle omnisciente. Celui que la Svetashvatara Upanishad décrit comme n’ayant pas de forme physique comme nous; il n’y a en effet aucune différence entre son corps et son âme. Ses sens sont de nature transcendante, en ce que chacun d’eux peut remplir les fonctions de tous les autres. Il possède d’innombrables énergies qui toutes opèrent de façon entièrement autonome, sans qu’aucune intervention ne soit requise de sa part. Nul ne lui est égal, et encore moins supérieur. D’où l’appellation d’Être suprême, l’Absolu dans sa forme personnelle dont toutes les âmes sont d’infimes émanations fragmentaires éternellement distinctes de lui et liées à lui par une relation propre à chacune.

La Vérité absolue embrasse tout

Ces précisions sur les différentes facette du Brahman nous permettent de comprendre qu’en définitive, tout est Brahman, au sens où tout participe de la nature ou des énergies du Brahman, mais qu’en même temps, tout est distinct du Brahman, en ce que ses énergies fonctionnent indépendamment de lui et en ce que toutes les âmes individuelles qui peuplent les mondes matériel et spirituel conservent éternellement leur individualité.

C’est afin de nous aider à tirer le meilleur parti de notre bref séjour sur terre que le Védanta-sutra nous exhorte à prendre pleinement conscience de la multiplicité de ces réalités concurrentes et de leurs interrelations simultanées dans l’Absolu lorsqu’il nous dit:

«Nous devons maintenant nous enquérir du Brahman.»

Brahman