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Voici le deuxième et dernier volet de ce billet consacré à six valeurs particulièrement importantes mises en lumière par Krishna dans son enseignement à Arjuna, et dont on trouve des échos jusque dans la culture chinoise ancestrale.
Voir le volet précédent.
Savoir donner l’exemple (ācārya)
Krishna dit à Arjuna:
«Quoi que fasse un grand homme, la masse des gens marche toujours sur ses traces. Le monde entier suit la norme qu’il établit par son exemple.»
Bhagavad-gita 3.21
Une personne qui agit conformément à ce qu’elle dit jouit de la considération, du respect et de la confiance de son entourage. Il s’agit d’une valeur inestimable. C’est même là un critère de jugement de la valeur d’une figure d’autorité. Un supérieur qui ne fait pas lui-même ce qu’il demande de faire à ses subordonnés n’est pas digne de son ascendant sur eux.
C’est pourquoi un guide spirituel qualifié enseigne toujours par l’exemple. Il est lui-même l’exemple vivant des bienfaits que procurent le savoir et son application, de sorte qu’il inspire chez autrui l’intégrité et la noblesse d’esprit par les standards qu’il établit.
Enseigner par l’exemple est l’essence même de l’éducation, et diriger par l’exemple est l’essence même d’une saine gestion ou d’une saine gouvernance.
Ce principe est de même très présent dans la culture chinoise, et se voit transmis à travers des expressions telles que wei ren shi biao («être un modèle pour les autres»), yi shen zuo ze («avoir le comportement qu’on souhaite voir chez les autres») et shen ti li xing («mettre en pratique personnellement». On trouve dans les Analectes, un recueil de discours de Confucius (551-479 AEC), le passage suivant:
«Si vous vous conduisez bien, les gens agiront comme vous le voulez sans même que vous ayez à le leur demander. Si vous ne vous conduisez pas bien, même si vous leur en donnez l’ordre, les gens n’agiront pas comme vous le voulez.»
La plus vieille anthologie de poésie chinoise en existence, le Shijing (1100-700 AEC) renferme en outre un verset disant que les personnes de savoir au comportement exemplaire sont telles de majestueuses montagnes que les gens admirent et honorent, et aux pieds desquelles ils aiment s’abreuver.
Savoir faire preuve d’humilité (amānitva)
Krishna dépeint l’humilité comme un comportement fondé sur la connaissance, notamment celle de qui se sait distinct de son corps, et pour qui honneur et déshonneur sont aussi futiles que ce dernier.
L’humilité d’une personne qui ne recherche pas la satisfaction de se voir honorer par autrui n’a rien d’une faiblesse. Elle a permis à Arjuna de mieux comprendre son rôle dans le plan divin. Elle a accru son estime de soi et sa confiance en lui, et lui a donné le courage de remplir son devoir.
L’humilité est le parfum de la communication, le joyau de la largesse d’esprit, la clé de l’ouverture à la dimension spirituelle de l’existence. Il s’agit de la plus attrayante qualité que l’on puisse posséder.
Dans la culture chinoise, l’humilité est sans doute la valeur qui bénéficie du plus ample traitement. En voici quelques exemples.
Le Zhou Yi, qui date de 900 AEC, décrit soixante-quatre hexagrammes, dont un a pour nom Qian, «l’humilité». Tous les versets qui décrivent les différents traits de cet hexagramme sont indicatifs d’heureux auspices, ce qui est rarement le cas des autres hexagrammes. Un des jugements formulés se lit comme suit: «Une humble personne doit être désignée lorsqu’il s’agit de discuter de choses importantes.»
Wang Yangming (1472-1529), un grand philosophe de la dynastie Ming, a pour sa part écrit: «L’humilité est au fondement de toutes les vertus.»
Fait intéressant, dans un de ses poèmes, Xu Tingyun (1095-1179 CE) va jusqu’à louer l’humilité du bambou: «Résolu avant d’émerger du sol, et humble même après avoir atteint les nuages.»
Savoir faire montre d’affection (prīti)
Krishna partage son savoir avec Arjuna par amour pour lui. Arjuna accueille pour sa part les conseils de Krishna et choisit de suivre la voix qu’il lui montre parce qu’il a à cœur de lui plaire. Leur relation en est une d’affection mutuelle. Or, toutes les valeurs précédemment énoncées se voient enrichies par la capacité d’offrir et de recevoir de l’affection.
Notre capacité à développer notre amour pour Dieu détermine la mesure dans laquelle se développent et s’expriment notre bienveillance, notre gratitude, notre compassion, notre tolérance et notre affection pour tous les êtres. Elle est indicative de notre évolution spirituelle, de même que son parfum est indicatif de la qualité d’une rose.
Dans la culture chinoise, on retrouve notamment l’expression xian huan jie cao, où xian huan signifie «tenir un anneau de jade dans sa bouche pour payer de retour un bienfaiteur», et où jie cao signifie «tresser de l’herbe pour en faire une corde afin de sauver un bienfaiteur». Cette expression vise à faire comprendre que l’on devrait toujours témoigner sa gratitude à un bienfaiteurs, et être disposé à agir pour lui être agréable.
Un recueil classique, le Shijing, renferme le passage suivant:
«Le Suprême est grand et miséricordieux. Il veille sur les quatre directions du ciel et de la terre, et compatit de la souffrance des gens à qui il a tout donné.»
En guise de reconnaissance pour tout ce que nous avons reçu, du Suprême comme de nos semblables, un dicton populaire datant du 17e siècle stipule: «Une grâce aussi ténue qu’une goutte d’eau devrait être rendue par une gerbe d’eau.» faisant ainsi écho à un poème de Meng Jiao (751-814) où il écrivait:
«Les enfants sont comme d’infimes brins d’herbe, et l’amour de la mère est tel un soleil de printemps. Comment les enfants peuvent-ils rendre à la mère tout l’amour qu’ils ont reçu d’elle?»
Bénédiction, grâce, reconnaissance et gratitude sont autant de marques d’affection qui cimentent les relations entre les êtres et le Suprême, et dont l’expression dans notre vie terrestre n’est que le reflet naturel.
Une personne de valeurs
Une autre façon de caractériser un spiritualiste pourrait être de dire qu’il s’agit d’une personne de valeur, certes, mais surtout de valeurs. Ces valeurs propres aux grandes âmes que nous devons chercher à devenir pour notre plus grand bien et celui des gens qui nous entourent.
Seulement, voilà! Personne ne naît avec autant de précieuses valeurs déjà pleinement développées en elle ou en lui. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et l’acquisition de ces valeurs peut exiger une certaine discipline du corps, de la parole et de l’esprit, soit de réels efforts pour se dépasser soi-même et atteindre les plus hautes sphères de la transcendance.
Tout le monde n’a évidemment pas des ambitions aussi élevées, mais qui n’aimerait pas à tout le moins devenir une personne un peu meilleure à chaque jour de sa vie? Ces valeurs nobles entre toutes, dont plusieurs autres découlent naturellement, valent donc la peine qu’on les chérissent et qu’on s’efforce de les faire siennes. Elles contribuent en effet à améliorer notre propre sort de même que celui de nos proches, voire de la société et de cette planète dont l’intendance nous est confiée.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la sagesse populaire non seulement de la Chine ancestrale, mais de nombreuses autres cultures prône ces valeurs à travers une foule d’aphorismes et de pratiques. De même, les textes à teneur philosophique et spirituelle regorgent d’allusions à ces valeurs et encouragent quiconque désire parfaire son existence à les cultiver avec ardeur.
Dans les écrits védiques, plus particulièrement la Bhagavad-gita, les Upanishads et les Pouranas, ces valeurs et les moyens à mettre en œuvre pour les développer font l’objet de descriptions détaillées, assorties d’exemples de personnalités historiques qui en sont de parfaits modèles. Des sources d’inspiration inépuisables dont je ne peux que vous inviter à vous prévaloir.